Gabriel DESHAYES

Sa Spiritualité

F. Yves-Jean Labbé

Dans leur affectueux et inébranlable attachement au "Père", les Frères1 n'ont jamais séparé de Jean-Marie de la Mennais son "vénérable et saint ami"2 Gabriel Deshayes, lui qui forma, en son presbytère d'Auray, les tout premiers Frères - et quels Frères !! Ambroise, Paul, André, Laurent, Hippolyte ... -, lui qui fonda les toutes premières écoles et fournit au Vicaire capitulaire de Saint-Brieuc ses premiers enseignants, lui qui - en dépit de son départ pour Saint-Laurent-sur-Sèvre, dès 1821, et de ses multiples et lourdes responsabilités - restera jusqu'à sa mort, le 28 décembre 1841, pour ses Petits Frères bretons un Supérieur attentif, aimant et dévoué.

C'est une histoire magnifique, cette collaboration et cette amitié sans failles ni nuages, pendant plus de vingt ans, entre ces deux hommes aux personnalités riches et fortes, entre ces deux apôtres, ces deux saints rivalisant "de foi et de charité, d'abnégation et d'humilité"3.

Aussi les ÉTUDES MENNAISIENNES sont-elles heureuses aujourd'hui encore de présenter à leurs lecteurs quelques traits de Gabriel Deshayes,4 l'une des grandes figures du clergé de France au début du XIXe siècle, qui a sa place à côté des Mazenod, des Forbin-Janson, des Jean-Marie de Lamennais"5.

Rappelons d'abord très rapidement les grandes lignes de sa vie (1ère partie) pour admirer en Gabriel Deshayes l'homme, le prêtre, le saint (2ème partie), pour tenter enfin de dégager les CARACTÉRISTIQUES de son ESPRIT de sa SPIRITUALITÉ (3ème partie).

 

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1- "Les FRÈRES" : Ce nom, sans autre précision, désignera habituellement les Frères de l'Instruction Chrétienne de Ploërmel, Frères de la Mennais.
2- L'expression est de J.-M. de la Mennais. Ainsi, en 1852, écrivait-il à Mgr Jaquemet, évêque de Nantes: " ... M. Deshayes, mon vénérable ami, de si sainte mémoire ... ".
3- Les quatre NOTES de l'ESPRIT de la Congrégation des Frères (cf. Régie de Me 1983: Constitutions, n" 3, Directoire n° 8-11).
4- Cf. ÉTUDES MENNAISIENNES, n" S,juillet 1990.
5- G. Langlois, Le diocèse de Vannes au XIXe siècle, 1800-1830, 1974, p. 487.

Première partie

RAPPELS BIOGRAPHIQUES

Enfance et jeunesse sacerdotale (1767-1805)

1767: Naissance à Beignon, alors une grosse paroisse rurale de l'évêché de Saint-Malo en Bretagne; aujourd'hui commune du Morbihan, diocèse de Vannes, une bonne partie de son territoire a été absorbée par l'École Interarmes de Coëtquidan.
L'humble maison natale est toujours debout. En cours d'aménagement, elle devient et de plus en plus un lieu de pèlerinage pour les filles et fils spirituels et tous les admirateurs de Gabriel Deshayes.
- Famille paysanne, travailleuse et solidement chrétienne. La maman, hélas !! meurt en donnant le jour à son quatrième enfant, Gabriel, le second, n'a alors que six ans.
- Première initiation du petit pâtre aux études cléricales au presbytère voisin de Saint-Malo-de-Beignon. Humanités et philosophie au Petit Séminaire de Saint-Servan-sur-Mer. D'excellents résultats.
1787: Gabriel a donc vingt ans. Il est élève au Grand Séminaire de Saint-Méen dirigé par les Lazaristes. "Il y est classé parmi les très forts pour la capacité et d'une très bonne conduite ( ... ) dispensé des interstices (obligatoires entre les ordres)"6.
Il est bon de souligner cela, car, homme d'action, pragmatique, peu enclin aux discussions d'idées pures et moins encore à la vantardise, on pourrait parfois sous-estimer son "intelligence singulièrement large et compréhensive"7.
18 septembre 1790: Gabriel Deshayes est ordonné diacre par Mgr de Pressigny, dernier évêque de Saint-Malo. La Constitution civile du Clergé est du 12 juillet précédent, et 1791 sera l'année du serment schismatique obligatoire. Déjà le jeune clerc réagira.
Dimanche 4 mars 1792: Il est ordonné prêtre, à Jersey, par Mgr Le Mintier, dernier évêque de Tréguier8,
Rentré aussitôt en France, "il peut alors, avec six ou sept confrères regroupés autour du curé de Beignon, assurer une permanence du culte catholique sur douze ou treize paroisses autour de Beignon, Paimpont et Talensac jusqu'au sud de Renncs"9.
Révolution, Teneur, prêtre proscrit. .. C'est la période de sa vie que nous connaissons peut-être davantage ; la plus "héroïque", la plus mouvementée et la plus palpitante à raconter ; période qui l'a beaucoup marqué, physiquement et moralement, spirituellement surtout.
L'évêché de Saint-Malo étant supprimé par le Concordat de 1801, Gabriel Deshayes aurait pu être rattaché à celui de Rennes; mais un vicaire général de Vannes, qui l'a déjà apprécié, le signale à Mgr de Pancemont, son nouvel évêque. Celui-ci s'empresse de le nommer vicaire à Beignon et l'emmène souvent dans ses tournées de prédication. Le jeune prêtre excelle dans cet apostolat. Il prêche le carême à la cathédrale. A la mort du curé d'Auray, en 1805, Gabriel Deshayes qui a trente-huit ans se voit imposer ce poste important mais réputé difficile et délicat à cause des passions politiques mal apaisées.

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6- A. Crosnier, L'homme de la divine Providence, Gabriel Deshayes, Paris, Beauchesne, 1917, t. I, p. 43 ss.
7- Idem, Op. cit., t. Il, p. 369
8- Cette date de Dimanche 4 mars 1792 est donnée par E Laveau, Vie du P. Deshayes, Vannes, Lamazelle, Ir' &1., 1854, p. 10, note 1. Cette note cite l'attestation de l'abbé Georges, ordonné diacre ce même jour. Par inadvertance sans doute, Crosnier, t. I, p. 25, note I, écrit: "dimanche 14 mars ce 14 mars ne tombait pas un dimanche, et le fac-similé de l'attestation dit bien: 4 (voir hors texte).
9- Langlois, op. dt., p. 487.