Gabriel DESHAYES

Sa Spiritualité

F. Yves-Jean Labbé

Deuxième partie:

Sa sainte mort, le 28 décembre 1841,
est l'occasion d'éloges
qui n'ont rien non plus de conventionnels:

La Mère Saint-Flavien annonçait ainsi ce décès aux Filles de la Sagesse:
.. J'ai la conviction intime de son bonheur éternel ( ... ). Il est allé recevoir la récompense de tant de travaux, de fatigues, de bonnes œuvres que son zèle infatigable lui a fait entreprendre ( ... ).
Nous faisons une grande perte (...). Personne assurément ne le sent mieux que moi: en relations continuelles avec lui depuis vingt-et-un ans, j'ai pu connaître et apprécier la grandeur de son zèle, la bonté de son cœur, la tendresse de sa charité, la vivacité de sa foi, son abandon et sa confiance sans bornes en la divine Providence, sa pauvreté et son détachement personnel de tout, sa patience et son silence dans ses peines; en un mot, j'ai pu connaître et apprécier toutes ses vertus dont j'ai été souvent témoin ( ... ). Nous perdons un Père, un Ami, un Modèle, mais j'espère que nous l'avons au Ciel comme Protecteur"50.
Mère Marie-Thérèse, Supérieure Générale des Sœurs de l'Instruction chrétienne de Saint-Gildas, écrit de son côté:
"Puissions-nous comprendre mieux que jamais la nécessité où nous sommes de travailler à l'acquisition des belles vertus d'humilité, de simplicité, d'abandon, etc. que ce Père qui nous était si cher et à qui nous avons tant coûté, nous a tant de fois prêchées par ses exemples et ses paroles! Ah ! que nous serions heureuses si, comme lui, nous pouvions dire, au moment de la mort: J'ai cherché en tout la volonté du Seigneur.51».
Même langage de la part des Missionnaires de la Compagnie de Marie: "Nos craintes n'étaient que trop fondées, écrit le P. Guyomard à Jean-Marie de la Mennais: votre excellent ami, notre vénérable et bienaimé Supérieur n'est plus ... "52
Le plus grand ami, "le frère", revécut alors la scène du cimetière, lors de la dernière Retraite, prêchée de concert à Ploërmel :
"Mon cœur est brisé, confie-t-il à l'Assistant de Saint-Laurent. Ce n'est pas que je pleure sur celui que nous venons de perdre, car je ne doute nullement de son bonheur; mais je pleure sur nous et sur tous ceux dont il était le Père (..). Nous ne pouvons nous consoler, qu'en espérant que, du haut du Ciel, il nous protégera encore de son amour et de ses prières... "53 .
Et à ses Frères bretons:
... Pauvres enfants, vous aviez deux pères. L'un vient d'être ravi à votre amour. Consolez celui qui vous reste par votre docilité, par votre persévérance, et augmentez, s'il se peut, dans le Ciel la joie de celui que vous avez perdu, en travaillant à acquérir toutes les vertus dont il fut, au milieu de vous, le modèle. Mettez en pratique les conseils qu'il
vous a donnés à chaque Retraite, pendant vingt-deux ans, pour devenir des saints ... 54
C'est avec le respect le plus affectueux que fut reçue, à Ploërmel, la précieuse relique léguée par le vénéré défunt. Dans la chapelle de la Maison-Mère, les restes mortels des deux Fondateurs sont toujours réunis.

Opinions des biographes

Enfin, consultons les biographes de Gabriel Deshayes. Ils ont longuement fréquenté leur héros, fouillé cette vie si remplie et les documents qui s'y rapportent.
Le premier en date est sans doute M. l'abbé Laveau. La première édition de son ouvrage date de 1854. La seconde (1866), chaudement approuvée par Mgr Bécel, comporte une dédicace de l'auteur. En voici le début:
"A Gabriel Deshayes. Mon Père, nous nous surprenions un jour à vous prévenir que nous écririons votre vie, et vous feignîtes de ne pas nous entendre. Comment, en effet, auriez-vous pu répondre, vous qu'un éloge déconcertait, et qui ne pensiez qu'à vous faire oublier? Mais, malgré votre humilité, le souvenir de vos vertus et de vos œuvres était un héritage auquel nous avions droit. Plus vous vous dérobiez aux autres et à vous-même, plus votre mémoire nous est chère, plus votre place est assurée parmi ces justes dont les noms traversent les siècles, et dont le peuple élu célébrera les louanges. - Gabriel Deshayes, il faut
vous résigner à votre gloire.
»
C'est bien la conviction également de Mgr Crosnier qui, dans son Gabriel Deshayes, l'homme de la divine Providence, aime à nous le représenter comme un nouveau Vincent de Paul, un nouveau Père de Montfort. L'ouvrage s'ouvre par "la prière embrasée" de saint Louis-Marie demandant à Dieu des ouvriers pour sa petite Compagnie. "Dans l'élection du P. Deshayes (..), j'oserai dire, continue l'auteur, que cette prière d'un saint produisit son fruit, peut-être le principal, tout le moins l'un des meilleurs"55 .

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50. Chan. F. Baudu, Les origines de la Congrégation des Saurs de l'Instruction Chrétienne de Saint-Gildas-des-Bois, Vannes, 1948, p. 424, note 1.
51.
Idem, p. 421.
52. Crosnier, op. cit., t. II, p. 347-348.
53. Crosnier, t. II, p. 349-350.qui cite Un Ami de l'Enfance au XIXI siècle: L'abbé de la Mennais, p. 94 (Ploërmel, 1894).
54. Quelques jours avant sa mort. le P. Deshayes fit appeler son assistant, le P. Guyomard, et lui dit: "Quand je ne serai plus, je veux que l'on me coupe le pouce qui a signé la règle des Frères de Ploërmel. et qu'on l'envoie à M. de la Mennais, afin qu'une partie de mes cendres repose un jour avec les siennes? -Lettre du R Guyomard à M. de la Mennais, 29 décembre 1841, arch. des FICP, carton 79.
55. Crosnier, op. cit., t. I, p. 9

 

Le livre cinquième de son ouvrage: "Les derniers jours - l'homme -le saint prêtre", et la conclusion synthétisent, en ce sens, ce que les deux tomes nous ont permis de vérifier. Et Mgr Crosnier pose la question:
"Est-il donc téméraire de croire que (Gabriel Deshayes) mérite (..) les honneurs que l'Église accorde aux meilleurs de ses fils ? J'espère que la sainte Église, catholique, apostolique, romaine, dont il fut l'enfant soumis et le vigilant défenseur, le placera un jour sur les autels, à côté du P. de Montfort et de Jean-Marie de la Mennais. Fasse Dieu que ce jour ne soit pas trop éloigné !". 56
Mgr Laveille, biographe également du P. de la Mennais, ne pouvait que partager les sentiments de celui-ci pour son "vénérable ami, de si sainte mémoire". La Préface de Gabriel Deshayes et ses familles religieuses"57 s'achève sur ce vœu:
"Puissent (ces pages) inspirer à tous les lecteurs un peu de la foi intrépide, de l'invincible confiance en Dieu et de la surnaturelle énergie qui furent les vertus préférées du P. Deshayes, et qui expliquent ses victorieuses entreprises pour le relèvement de la patrie terrestre, comme ses prodigieux succès au service de la sainte Église !".
Et le chapitre XXI de ce même ouvrage étudie les dons et les vertus de "cet homme d'action prodigieux qui était aussi, dans le plein sens du mot, un homme de Dieu"58:
Le chanoine F. Baudu s'est attaché surtout - d'après le titre même de son ouvrage - au Fondateur et Supérieur des Sœurs de l'Instruction Chrétienne. Il a méticuleusement dépouillé les Archives et Annales de Saint-Gildas, les correspondances. Rien ne semble lui échapper : ni les innombrables difficultés, ni les faiblesses et imperfections des multiples acteurs ; relations du Père avec les Sœurs, avec les chefs de paroisses, autres membres du clergé ou administrateurs civils, avec l'évêché de Nantes, avec M. Angebault, etc. Un chapitre est consacré à "L'esprit du P. Deshayes en ses Filles" (Cf.: Bibliographie).
De tout cela se détache cette figure de Gabriel Deshayes combien attachante et digne de notre admiration:
• Grand, solide, longtemps infatigable, il est héroïque mais doux et simple comme ces plus "petits" qu'il aime tant!
• Austère, sérieux jusqu'à la rigueur ; et joyeux, plein d'humour et de tendresse.
• Homme "de tempérament… et aussi homme d'intuitions qu'il actualise immédiatement. Il saisit les situations, y répond d'un geste rapide"59.
• Entreprenant, inventif, follement audacieux dans sa confiance en Dieu ; humble et prudent, de la prudence d'un paysan et surtout d'un fils de Dieu ; tenace et désintéressé ...
Et F. Baudu lui aussi s'interroge : "Le culte privé que les Sœurs rendent à leur Fondateur pourra-t-il un jour devenir culte public? Peut-on envisager comme possible la glorification par l'Église de Gabriel Deshayes ? Et, avec beaucoup d'autres qu'il cite, il répond par l'affirmative 60».
En 1918, Mgr Crosnier fit hommage de son travail sur Gabriel Deshayes au pape Benoît XV. Celui-ci lui fit répondre par son Secrétaire d'État, le cardinal Gasparri. Après avoir rappelé brièvement les mérites du "saint prêtre breton", le cardinal ajoutait: 61
"Le Saint-Père vous félicite d'avoir si bien fait revivre cet 'homme providentiel' dont l'activité singulièrement féconde offre une leçon bien appropriée aux temps actuels, en plus d'un point semblables à ceux de Gabriel Deshayes ... ".

Les témoignages du Ciel

A ce choix déjà assez long de témoignages, faut-il ajouter, pour conclure cette seconde Partie, les témoignages du Ciel?
L'abbé Laveau, tout à la fin de son ouvrage, et Mgr Crosnier - sans se prononcer, bien sûr, sur le caractère "strictement miraculeux" - rapportent quelques faits extraordinaires attribués au Serviteur de Dieu. Le sujet que nous traitons n'invite pas à les étudier ici. Cependant, rappelons au moins, en quelques mots, la guérison du F. Nathanaël, aux Antilles, en janvier 1852 62 : Atteint pour la seconde fois de la fièvre jaune, il était moribond à l'hôpital de Saint-Pierre (Martinique), considéré même "comme mort depuis une demi-heure" par le docteur. Au simple contact d'une "relique" du P. Deshayes, confiée au F. Ambroise, l'un des plus chers novices d'Auray, il se remit subitement et recouvra la santé. Le F. Nathanaël ne mourra qu'en 1881.
"Le F. Directeur de Ploërmel qui nous a rapporté ce fait, écrit l'abbé Laveau, tient ces détails du F. Ambroise lui-même qui a tout vu et entendu".

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56. Op. cit., t. II, p. 415.
57.
Mgr Laveille et l'abbé Collin, Paris, Téqui-, 1924.
58.
Cette formule est de Mgr P. - A. Boussard, l'actuel évêque de Vannes, qui a préfacé la plaquette illustrée du Frère Maurice Chotard.
59.
Langlois, op. cit., p. 488.
60.
Op. cit., p. 424, note I.
61. Lettre reproduite dans "Semaine Religieuse de Vannes", 1918, n° 32, p. 622. Archives de l'Évêché.
62. Fait narré par Laveau, 2e édition, p. 366-367, et reproduit textuellement par Crosnier, t. Il, p. 355-356. L’anonce nécrologique du F. Nathanaë1 (Catric), parue dans la Chronique de janvier 1882, 396-402, ne signale pas le caractère "extraordinaire" de la guérison. Le Ménologe résume cette notice sans la compléter par le récit de Laveau (t. l, p. 116-118). Le 17 février 1852, le F. Ambroise mentionne la lettre qu'il avait écrite au P. de la Mennais 15 jours auparavant: elle ne figure pas aux archives. Parlait-elle de la maladie et de la guérison du F. Nathanaël ?